La question linguistique italienne entre XIVe et XVIe siècle. Des «trois couronnes» jusqu’à l’Humanisme et la Renaissance
Zusammenfassung
La « question de la langue », qui naît au XVIe siècle, est centrale pour le développement de l’italien, toutefois je retiens fondamental, pour comprendre au mieux la situation à cette époque-là, d’aller avant dans l’histoire, aux origines du changement : pour cela je commence mon essai en illustrant d’abord la situation de la langue au XIVe siècle et l’importance de Dante dans le panorama latin-vulgaire. On va comprendre l’organisation culturelle de l’époque et la centralité de la Toscan, pour affronter ensuite la situation linguistique.
En suivant les développements de la langue, on va voir comment dans le XVe siècle on procède vers une réévaluation du vulgaire, à travers l’oeuvre d’écrivains tels que Leon Battista Alberti. Même si dans la période on ne remarque pas des changements radicaux, cette illustration sert à comprendre en quelle mesure les mentalités changent : le problème du manque d’une langue nationale grandit de plus en plus et ne peut pas être ignoré. Je cherche aussi à focaliser l’attention sur une problématique typiquement italienne de ces siècle : l’Italie n’a pas de pouvoir central, l’Italie est fragmentée, et cela se reflète inévitablement sur le panorama linguistique.
Pour compléter le cadre linguistique, on va présenter le XVIe siècle, ses particularités, ses changements, et les personnages qui auront un rôle central dans ce siècle : Baldesar Castiglione et Pietro Bembo. Langue parlée de la cour d’un côté, langue écrite d’autre côté, chacun exprime ses idées et présente son vulgaire, la langue qui devrait devenir la langue italienne nationale.
[...]
Leseprobe
Table des matières
1. Introduction
2. Le XIVe siècle
2.1 Cadre culturel : l’organisation des études
2.2 Les intellectuels du XlVe siècle
2.3 Cadre linguistique: latin, vulgaire, français et français provençal
2.4 L’hégémonie toscane et florentine
2.5 De vulgari eloquentia - Le premier traité de linguistique et poétique des langues romanes
3. Le XVe siècle: entre latin et vulgaire
3.1 L’homme dans l’Humanisme
3.2 Un siècle bilingue : la réévaluation du vulgaire
4. Le XVIe siècle: la Renaissance dans la littérature
4.1 Le lieux de la culture et les intellectuels
4.2 Quelle langue italienne ?
4.2.1 En faveur d’une langue parlée et courtisane
4.2.2 Un italien pour écrire: l’option du XlVe siècle de Bembo
Conclusion
Bibliographie
1. Introduction
Dans cet essai j’ai voulu reparcourir les points les plus importants de l’histoire de la langue italienne, unique dans son genre.
Comment on va voir, à cause du manque d’une force politique centralisée, capable d’imposer au pays une langue nationale, la définition de la langue italienne requit beaucoup de temps.
La « question de la langue », qui naît au XVIe siècle,est centrale pour le développement de l’italien, toutefois je retiens fondamental, pour comprendre au mieux la situation à cette époque-là, d’aller avant dans l’histoire, aux origines du changement : pour cela je commence mon essai en illustrant d’abord la situation de la langue au XlVe siècle et l’importance de Dante dans le panorama latin-vulgaire. On va comprendre l’organisation culturelle de l’époque et la centralité de la Toscan, pour affronter ensuite la situation linguistique.
En suivant les développements de la langue, on va voir comment dans le XVe siècle on procède vers une réévaluation du vulgaire, à travers l’œuvre d’écrivains tels que Leon Battista Alberti. Même si dans la période on ne remarque pas des changements radicaux, cette illustration sert à comprendre en quelle mesure les mentalités changent : le problème du manque d’une langue nationale grandit de plus en plus et ne peut pas être ignoré. Je cherche aussi à focaliser l’attention sur une problématique typiquement italienne de ces siècle : l’Italie n’a pas de pouvoir central, l’Italie est fragmentée, et cela se reflète inévitablement sur le panorama linguistique.
Pour compléter le cadre linguistique, on va présenter le XVIe siècle, ses particularités, ses changements, et les personnages qui auront un rôle central dans ce siècle : Baldesar Castiglione et Pietro Bembo. Langue parlée de la cour d’un côté, langue écrite d’autre côté, chacun exprime ses idées et présente son vulgaire, la langue qui devrait devenir la langue italienne nationale.
Il est évident qu’il n’y a pas un vainqueur, mais chacun joue son rôle. La langue vulgaire est remodelée et réformée, on tente de construire une littérature autour d’elle, on cherche à valoriser les auteurs qui lui ont donné la priorité. Clairement, le problème de la langue ne s’arrête pas avec le XVIe siècle et il continue à évoluer, mais sans aucun doute les débats successifs ont comme point de départ les trois couronnes, Bembo, ces siècles de gros changement.
2. Le XlVe siècle
2.1 Cadre culturel : l’organisation des études
Dans le milieu culturel, le XlVe siècle se présente comme un siècle marqué par des crises et des transformations décisives, qui marquent le passage du Moyen Âge ou temps modernes. Surtout dans le domaine de la pensée philosophique, les développements furent cruciaux : les thèses élaborés par la scolastique du XIIIe siècle, avec sa confiance dans la logique comme méthode d’explication du réel, sont remplacées par les sciences appliquées et expérimentales, qui ont une nouvelle attention pour l’homme comme individu.
Dans les villes, l’éducation était désormais garantie par des écoles laïques, apparues pour satisfaire les exigences de la société marchande et communale, et souvent financées directement par la Mairie (Pini in Pinto 1999 : 492-497). Dans les écoles primaires les enfants apprenaient à lire et à écrire (6-11 ans), puis les garçons avaient la possibilité de poursuivre leurs études à l’école supérieure, qui était de « abbaque » pour entreprendre le commerce ou de « grammaire » pour compléter la formation littéraire, perfectionner le latin et étudier la rhétorique. Les plus riches et les plus doués pouvaient alors fréquenter les facultés universitaires, qui étaient généralement quatre : celle dédiée aux artes liberales et trois autres pour la médicine, le droit et la théologie. Dans la Faculté des arts on continuait à privilégier les matières du trivium : la grammaire (le latin), la dialectique (fondée sur Aristote) et la rhétorique (fondée sur Cicéron et enrichie par la lecture de Virgile, Ovide et autres auteurs). Toutefois les disciplines du quadrivium (mathématique, géométrie, musique et astronomie) acquirent une nouvelle importance. En ce qui concerne l’enseignement des maîtres universitaires, il était encore caractérisé par les méthodes de la lectio et de la quaestio. La lectio consistait en une analyse grammaticale, une explication logique et finalement en un commentaire d’un texte ; la quaestio se développait dans la discussion avec les élèves à propos des problèmes soulevés par le commentaire ; pour terminer, la solution élaborée par l’enseignant était nommée determinatio (Pini in Pinto 1991 : 497-501).
2.2 Les intellectuels du XIVe siècle
Si l’intellectuel du Haut Moyen Âge était typiquement un moine ou un clerc, dans le XIVe siècle le clergé laisse la suprématie culturelle aux nouveaux intellectuels laïques qui appartiennent aux nouvelles classes urbaines émergentes. Il va s’affirmer une nouvelle image d’intellectuel, plus conscient de sa propre autonomie et de sa valeur, qui veut communiquer l’enseignement de sa propre œuvre. Une telle conception fut élaborée par Dante, qui, déraciné de la vie politique communale et obligé à errer dans les cours, a continué à rendre service sans compromettre l’intégrité de propres convictions éthiques et politiques. Toutefois, de nombreux littéraires du XlVe siècle voyageaient parmi les cours des Seigneurs, à la recherche d’un mécène généreux et disponible à leur garantir l’aisance économique, en échange de leur activité intellectuelle. Le prototype de ce genre d’intellectuel fut Pétrarque, lequel, grâce au grand prestige obtenu pour son esprit et son habilité littéraire, put jouir de la protection de puissants mécènes, en sauvegardant ainsi son indépendance et en se dédiant avec tranquillité aux propres œuvres.[1]
2.3 Cadre linguistique:
latin, vulgaire, français et français provençal
Bien que le XlVe siècle soit le premier siècle vraiment important de la littérature italienne, dans lequel les premiers chefs-d’œuvre de la langue vulgaire naissent, il ne faut pas oublier que la langue la plus prestigieuse reste le latin, langue à travers laquelle la culture « officielle », celle de l’Église, de l’Université, des pouvoirs politiques, s’exprime. Le latin restait en effet la langue de la liturgie, de la théologie, des sciences, de la philosophie et du droit ; riche de sa glorieuse histoire littéraire, cette langue fournit les modèles soit à la nouvelle littérature pré-humaniste qu’aux grands auteurs vulgaires. L’usage du latin comme langue de la culture supérieure se reflète également dans le fait que les commentaires, les gloses, les apostilles, même dans des œuvres en vulgaire, étaient écrites normalement en latin, et, en outre, on traduisait souvent en latin des œuvres originalement rédigées en vulgaire (par exemple Pétrarque traduisit et latinisa dans Griseldis Historia la dernière nouvelle du Decameron de Boccaccio). Ce « complexe de supériorité » (Bruscagli, Tellini 2005 : 250, vol. 1) était spécialement évident dans les milieux pré-humanistes, où on critiquait la chanson de geste et on blâmait Dante pour avoir exprimé les doctrines théologiques et philosophiques de la Commedia dans une langue basse et irrégulière telle que le vulgaire (ibid.).
Il s’agit d’une attitude qui détermina même la basse considération que Pétrarque avait de ses propres œuvres en vulgaire (auxquelles entre autres il doit son succès), en contraste avec les ambitions nourris pour ses œuvres latines: une attitude qui va se transmettre aussi aux futures générations d’humanistes et qui pèsera beaucoup sur les développements de la langue et de la littérature du XVe siècle.
En outre, il faut noter qu’à côté du latin et des différents vulgaires, la langue française maintient une position d’importance. Le français est en effet largement diffusé soit comme langue littéraire (avec la vaste circulation dans l’Italie du Nord des chansons et romans d’oïl et l’épanouissement en même temps de la littérature franco-vénitienne) que comme langue de commerce, utilisée spécialement parmi les marchants centre- septentrionaux, qui séjournaient souvent pendant des années dans les terres francophones et rentraient en patrie avec plein des gallicismes dans leur langue. Dans le royaume de Naples, par contre, le développement de la culture française fut un phénomène élitaire, favori par l’immigration des nobles et fonctionnaires d’au-delà des Alpes et par l’assimilation de la noblesse locale, qui commissionna de nombreux traductions en français d’œuvres latines.[2]
2.4 L’hégémonie toscane et florentine
Quand on dit que Dante, Pétrarque et Boccaccio déterminent le triomphe du vulgaire toscan (dans sa variante florentine) comme langue littéraire d’Italie on doit bien poser l’attention sur les deux caractéristiques de cette langue : florentine et littéraire. Le florentin était en effet la langue maternelle de tous les trois auteurs et le florentin parlé à ces temps-là n’était pas trop lointain de ce qu’on parle aujourd’hui (qui à son tour est très semblable à l’italien moderne, fondé sur la langue des « trois couronnes », comme ces auteurs sont nommés). De plus, on parle de littéraire parce que aucun des trois écrivains ne se contente de reproduire le vulgaire de naissance tel qu’il est, mais ils le raffinent jusqu’à créer une langue littéraire de haut rang. Dante même, le « père de la langue », dans son De vulgari eloquentia, définit comme folle la présomption des gens toscans de posséder par nature le « vulgaire illustre » ; le florentin de sa Commedia s’enrichit en effet des formes et vocables puisés pas seulement de l’usage des générations précédentes et de différentes couches sociales, mais aussi et surtout d’autres vulgaires toscans, du français, du provençal et du latin.
La complète harmonisation d’une telle complexité expressive est un des facteurs primaires de l’énorme succès du poème, qui a consigné aux auteurs futurs un instrument versatile et déjà mûr.
La langue poétique de Pétrarque est, par contre, le résultat d’une sélection raffinée, de la recherche d’un équilibre difficile, qui se fonde plutôt dans l’illustre tradition littéraire que dans le vive idiome de Florence (laquelle, on doit souligner, Pétrarque voit rarement).
On voit donc comment le toscan soit dès l’immédiat un modèle hors de la région pour tous les poètes de la cour dans le XlVe siècle et ses filières de diffusion sont très nombreuses. De plus, à côté des raisons littéraires de cette hégémonie linguistique, on doit considérer les raisons pratiques : le dynamisme de la société toscane générait une forte mobilité commerciale et financière, politique et intellectuelle, qui aboutit à la création des « colonies » toscans dans quelque ville de la Vénétie ou à Naples (Bruscagli, Tellini 2005 : 255, vol. 1). Vue la puissance de son économie, le vulgaire de la Toscane s’affirme donc comme noyau primaire de la langue commune mercantile développée en Italie entre XlVe et XVe siècle (ibid.).
Dernière arrivée, la littérature en vulgaire italien est dans peu de décennies à l’avant- garde et elle assume à l’intérieur des cultures et littératures néolatines une fonction de guide qui va durer au moins jusqu’à la fin du XVIe siècle, en déterminant codes et règles expressives dans tout le panorama européen. Bien sûr qu’aussi dans d’autres nations de l’Europe moderne certains langages ont acquiert dignité et autorité comme langue nationale : c’est le cas de la péninsule ibérique, où l’ « espagnole » est simplement le castillan, ou bien de la France, où le « français » est l’ancienne langue de l’Île de France. Toutefois, tandis que l’hégémonie de ces langages locaux s’est imposée à travers un processus d’unification nationale, politique et administrative, parfois aussi en mettant à l’écart dans une façon autoritaire la vitalité d’autres langages locaux (tels que le catalan en Espagne ou le provençal en France), en Italie l’hégémonie toscane s’est affirmée exclusivement culturellement, à travers le consensus des élites intellectuelles du pays.
[...]
[1] Même s’il faut rappeler que Pétrarque n’était pas formellement un laïque, mais un clerc, condition qui aida beaucoup sa vie de otium littéraire.
[2] À cet égard, je conseille l’article de Nicola De Blasi (2012): “Cultura cittadina e lessico di origine francese e provenzale a Napoli in epoca angioina (1266-1442)”. California Italian Studies. Source internet: [http://escholarship.org/uc/item/5t1283th (05.04.2013)]